Rien, rien à faire, rien à dire, rien à penser. Aujourd’hui allait être une journée d’une rare inutilité. Voir Alexander ? Je n’en avais pas envie, bien sûr si j’avais décidé de le voir j’aurais passé un bon moment, mais le voir tous les jours n’était pas conseillé, nous n’étions pas ensemble, je le savais alors pourquoi faire comme si tel était le cas ? Aucune raison n’aurait fait l’affaire. Aussi ce matin, je piochais dans ma penderie, trench-coat Burberry noir de la dernière collection, un must inégalable et immanquable, chemise noire et blanche à carreaux de chez Lagerfeld, le jean Marithé et François Girbaud et un carré de soie Hermès. D’accord je n’avais pas pioché au hasard, cependant, c’était des choix spontanés, je sortais dans la rue à la recherche d’un kiosque pour m’acheter les magazines dans lesquels je paraîtrais peut-être, Citizen K, Vogue Homme, GQ… Après avoir fait mes dépenses des jours d’ennuis je devais trouver un endroit ou les feuilleter, un café me semblait parfaitement indiqué. Les fourrant à la hâte dans mon cabas Vuitton je ne regardais pas devant moi, après tout ma taille me faisait déjà remarquer alors personne ne me… Fin de tergiversations un abruti venait de me bousculer et avait frôlé de me renverser.

Choc, béatitude, stupéfaction, désagréable sentiment de gêne. Le texto que j’avais reçu quelques jours plus tôt, le flash-info relatant l’arrivée en ville de mon ex-petit-ami ne mentait donc pas… et voilà Il commençait déjà à se confondre en excuses, alors que je n’étais pas si innocent, mais cet idiot m’avait suffisamment fait souffrir pour que je passe de l’état d’incompréhension en une colère noire, froide et tranchante. Et il osait, en plus de la collision, me draguer, ou du moins tenter une nouvelle approche ? A l’époque j’avais apprécié le manque total de gêne du jeune couturier, mais là, il passait pour un grand suicidaire doublé d’un réel connard. Je ne concevais même pas qu’il crût possible que je lui accorde de mon temps comme ça, parce que Monsieur le demandait. Il avait disparu de ma vie et je n’avais pas réellement bien pris le fait de son silence.


Lune » Tu payes. J’ai envie d’un Caramel Macchiato.


Nous nous assîmes donc à la terrasse d’un Starbucks Coffee et j’allumais une de mes Winston attendant que mon ex revienne avec les cafés. J’aurais pu partir et le planter ici mais c’aurait été trop facile pour lui, il n’aurait pas eu à s’expliquer et je tenais vraiment à ce qu’il sente passer les excuses. Quand il revint je le remerciais et attendais une minute ou deux qu’il commence à débiter le baratin préparé et répété qu’il comptait probablement me servir, mais rien ne vint.


Lune » Dis moi qu’un speech d’excuses pour avoir disparu sans jamais donner de nouvelles va bientôt démarrer parce que je doute que tu m’aies fait prendre un café pour que je te raconte comment se passe ma vie. Même si je pourrais. Oh, et merci pour le café.


J’expirais la taffe que j’avais tiré plus tôt. Mes lunettes de soleil furieusement clouées sur mon nez cachant mon regard glacial derrière des verres verts de chez Ray-Ban. Impérieux je lançais :


Lune » Alors, j’attends, j’attends que tu m’expliques ton comportement de connard fini…


Qui avait dit que cette journée s’annonçait chiante ? Non elle ne s’annonçait pas, elle était définitivement la plus catastrophique des journées que j’avais passé à Paris depuis des lustres.

Bon, il avait accepté, mais à quel prix ? Je lui suivi jusqu’au Starbucks le plus proche et entrai directement à l’intérieur commander nos boissons. La queue était plus ou moins longue, ce qui me donnait le temps de regarder autour de moi. Enfin, j’étais surtout attiré par Lune, qui restait immobile à l’extérieur, cigarette à la main, lunettes de soleil sur le nez. C’était un peu dur de le voir ainsi, dans toute sa splendeur, et de ne pas pouvoir ne serait-ce que poser ma main sur une de ses cuisses. Dire que tout ce corps était à moi il y a quelques mois à peine… je secouai la tête et me retournai vers la serveuse avec un sourire flamboyant. J’observai la carte une instant, attrapant mon menton entre mes doigts.

« Un grande Caramel Macchiato et un grande Mocha Blanc Noisettes s’il vous plait. »

Je lui souris à nouveau, me doutant que ce travail devait être loin d’être aussi passionnant que celui de Lune ou le mien. Je parvins à trouver l’appoint entre ma poche de manteau et celle de mon jean avant de me diriger vers le bout du comptoir et d’y récupérer mes boissons quelques minutes après. Je retournai à l’extérieur, étudiai les gobelets et déposai celui de Lune devant lui. Avant de commencer les politesses de rigueur, je m’allumai ma propre Lucky Strike convertible. Je savais que cette confrontation ne serait pas toute simple, j’avais même essayé de rassembler quelques idées que j’aurais pu lui dire le jour venu, mais je dois bien avouer que je n’avais pas pensé que ça arriverait aussi rapidement. Paris est une grande ville après tout, il n’y a pas qu’une agence de mannequins et jusqu’à présent je ne m’étais pas si mal débrouillé pour l’éviter. Lui aussi s’attendait à ce que je lui sorte un discours parfait, construit et sensé, mais je n’avais rien à lui proposer. Je me contentai de baisser la tête un instant, d’arranger le bas de mon jean et de plonger ma main dans mon sac pour en retirer mes propres Ray-Ban Wayfarer. Il n’y avait pas que lui qui avait le droit de cacher la moitié de son visage après tout. Je soupirai, laissant la fumée de ma taffe précédente s’échapper entre mes lèvres et tentant encore et toujours de trouver un semblant d’excuse.
Mais plus j’attendais, plus les choses semblaient empirer. Quelle idée j’ai eu d’inviter mon ex à prendre un café après une nuit infructueuse ? En ce moment, je devrais être de retour dans mon atelier, penché sur ma table à dessin en train de griffonner des croquis pour ma nouvelle collection qui était déjà en train de prendre un retard considérable. Après un court silence, Lune reprit la parole et m’appela un connard fini. Un connard. Fini. Ce fut à ce moment-là qu’il y eut comme un déclic dans ma tête. Pourquoi me culpabiliser tout seul alors que j’étais loin d’être le seul fautif dans cette histoire ?

« Pardon ? J’admets ne pas t’avoir rappelé mais il faut avouer que la sortie théâtrale de chez tes parents n’était pas celle à laquelle je m’attendais ! »

Ce fut le moment à la fois le plus embarrassant mais aussi le plus effrayant de ma vie jusqu’à présent. Entre les cris de sa mère et les hurlements de son père à la vue d’un homme dans le lit de leur fils, j’étais complètement pétrifié. On en avait jamais parlé auparavant, et je comprenais que Lune ne souhaita pas ramener de conquêtes chez lui quand ses parents étaient là, mais j’étais persuadé qu’il leur avait fait son coming-out. Et bien de toute évidence, je m’étais trompé.

« Et puis le connard, entre nous, ce n’est pas moi. Qui a rompu par sms ? »

Devant sa bouche entre-ouverte, je jubilais.

« Oui, c’est bien ce que je pensais. »

Je plaçai mes mains autour de mon gobelet histoire de les réchauffer un peu et le portai à ma bouche pour en boire le contenu. C’était facile pour Lune de me mettre au pied du mur et de m’accabler de tous les torts pour notre rupture, mais il en oubliait quelques détails, et pas des moindres.

Je poussai un soupir qui en disait long sur mon humeur tout en pivotant sur ma chaise pour faire face aux quais. Entre deux lattes tirées sur ma cigarette, je la faisais impatiemment tourner entre mes doigts, essayant en vain d’expulser mon anxiété et mon irritabilité du moment. Rien de tout cela n’était prévu. Le monde était suffisamment grand pour que je ne puisse pas recroiser Lune, mais de toute évidence le destin en avait décidé autrement. C’est lâche de ne pas avoir considéré la possibilité de le revoir un jour, je l’avoue, mais je ne me laisserai pas accuser. Il ne m’enfoncerait pas, non plus maintenant.

« Ecoutes, je me cherche des excuses oui, d’accord. J’ai été un connard, d’accord. Mais je te rappelle qu’un couple, c’est deux personnes. Alors ne cherche pas à te déculpabiliser en me foutant tout sur le dos. »

J’écrasai ma cigarette au sol et but une gorgée de mon café qui avait atteint une température convenable pour être bu à grande gorgée. J’avais l’impression que Lune se foutait complètement de notre histoire, mais qu’il attachait une grande importance au fait qu’il avait été celui à se faire jeter. Et pas de la meilleure des manières, je l’admets.
Sa justification tenait la route, mais comment expliqué ce sms reçu de son numéro qui mettait fin à notre histoire seulement quelques jours après que ses parents nous aient surpris ? Non, je ne me laisserais pas rouler par son visage d’ange. Qui d’autre que lui aurait pu me l’envoyer ? j’aurais peut-être dû le garder ce message, mais il m’avait tellement vexé ce jour-là que je n’avais pas pu me résoudre à autre chose qu’à supprimer tout ce qui me rappelait Lune, de près ou de loin.

« C’est pas à moi d’expliquer ça. C’était ton numéro, pas le mien, pas un autre. Je sais pas comment ça ce fait, vu qu’apparemment c’est le pape qui me l’aurait envoyé, tout ce que je sais c’est que j’ai reçu ce putain texto de rupture et qu’après tu t’étonnes que je ne te rappelle pas. »

Je lâchai un léger rire nerveux, fouillant dans ma poche de manteau pour trouver la monnaie des boissons. Mettant la main sur une pièce de 2€, je la posais sur une de mes phalanges et la faisais aller et venir d’un bout à l’autre de ma main pour me relaxer. J’étais à cran. Tout simplement parce que j’étais accusé d’une faute que j’avais commise seulement en partie. Je me demandais ce que je faisais encore là. Après tout, Lune ne reviendrait pas, c’était une évidence à laquelle je devrais me faire avec le temps. Alors à quoi bon rester ici à me faire insulter de connard de la bouche du seul que j’ai jamais vraiment aimé et que j’aime toujours un peu ? Il faut croire que j’ai des tendances masochistes parce que dans le fond, je ne voulais pas partir.

« Je sais plus. Un truc du genre "Désolé Arsène, mais je pense pas qu’on puisse continuer. Je suis même pas sûr de pouvoir être avec un homme." Un truc vraiment minable que je n’ai pas gardé, tu m’excuseras. »

Lâchai-je, mi- intéressé par le fait qu’il pose tout de même la question. Je ne savais pas le fin mot de l’histoire, je ne savais pas pourquoi il avait soudainement choisi de venir à Paris alors qu’il avait un succès monstre à Londres. Je mentirai si je disais que le sms ne m’avait pas paru étrange. Surtout la partie concernant son doute sur sa sexualité car Lune n’avait jamais été gêné d’être vu avec un homme dans la rue, mais il faut bien avouer que quand on se fait jeter, on cherche rarement à avoir des explications capables de remplir un livre.

Un couple c’est deux ? Sérieusement ? Non mais soit il me prenait pour un abruti fini, soit il était complètement ramolli du bulbe et pensait qu’il fallait dire ce genre d’évidences… Je n’étais pas encore totalement attardé et s’il commençait à considérer que je n’étais pas digne qu’il me parle comme à un adulte autant que je me barre parce qu’il aurait vite fait de prendre une paire de gifles et de me voir tourner les talons. Clope au bec je décompressais, préférant fumer que de réagir spontanément et de tout envoyer valser au risque de perdre à jamais un lien ave Arsène. Car même si nous n’étions plus ensemble, je n’avais pas envie -maintenant que je l’avais en face de moi- de me fâcher définitivement avec lui, alors que j’avais là une occasion de renouer avec lui. Et qu’il admette qu’il avait des torts me donna un peu de baume au cœur, pas que j’en avais besoin, je voyais la situation telle qu’elle était mais qu’il le reconnût, légitima mes attentes. Bien que cela ne me donnât pas le soulagement que j’avais attendu.

Lune » Je sais ce qu’est un couple Arsène. Mais… merci d’admettre que tu as des torts. Je ne cherche pas à me déculpabiliser, juste à ne pas me sentir seul coupable.

Ce mec avait-il toujours été aussi incisif ou notre rupture l’avait-elle rendu plus tranchant ? Peut-être que c’était seulement une impression ou qu’il n’avait jamais été aussi sur la défensive lorsqu’il était avec moi… Mais ce côté piquant était presque séduisant ! Quoique, je ne devais surtout pas retomber dans mes vieux travers, Arsène n’était plus pour moi, il l’avait bien prouvé, je l’avais bien prouvé. Il m’accusait toujours et encore, sur la base d’un fait qui n’était pas de mon initiative ce que je trouvais particulièrement injuste, car n’étant pas l’émetteur du texto je n’avais pas voulu sa conséquence… Cependant j’admettais qu’il ait été vexé et passablement énervé face à ce mur que mon père avait érigé entre nous et devant lui.

Lune » Le pape non, mon papa oui. Je sais que j’aurais dû te rappeler ensuite, mais devant le silence que tu avais instauré j’ai pensé que tu n’avais même pas pris la peine de rompre ou d’essayer de me recontacter… J’ai été blessé et comme tout animal blessé je me suis terré dans mon coin avant de renaître, sans toi.

Il commença à jouer avec une pièce de deux euros, négligemment probablement pour tromper son énervement, moi je continuais de fumer, comme un pompier, mais la pression était telle que j’avais véritablement besoin de me détendre et la cigarette aidait d’une façon admirable à me faire retrouver mon état de nervosité habituel, qui était néanmoins largement supérieur à celui de la normale. La récitation de mémoire du message qu’il avait reçu me poignarda le cœur de part en part. Mon père était véritablement un irréversible salaud. Irrécupérable et il en entendrait parler et même crier. Je n’avais déjà pas accepté qu’il envoie un message en mon nom mais qu’il soit d’une telle cruauté et hypocrisie me fendit l’âme. C’était mon père et malgré tout je l’aimais, mais la déception était d’autant plus grande.

Lune » L’enfoiré… Effectivement c’est assez ridicule et plutôt pitoyable. J’ai du mal à croire que tu aies pu penser que ça venait de moins néanmoins. Je suis homosexuel et je te l’ai toujours dit je n’aime que les hommes… Je ne t’en veux pas d’y avoir cru, je pense seulement que tu aurais pu déceler la supercherie…

Je fumais encore, buvais une gorgée de mon caramel macchiato. Soudain j’étouffais l’ambiance était trop pesant à mon goût, il fallait que je change de sujet, avant de revenir sur celui-ci plus épineux plus tard.

Lune » Comment ça se passe pour ta prochaine collection ? Tu as toujours Manon comme organisatrice ?

Je ne savais pas ce qu’il venait de me prendre, parler boulot vraiment ? J’étais complètement débile, mais on ne pouvait ignorer que nous travaillions dans le même milieu et vu nos tenues nous voyions la mode différemment mais avec toujours un goût pour la beauté. Cependant j’étais peut-être moins traditionnel, il était moins dans la recherche que moi qui avais été habitué à un train de vie particulièrement élevé. Mais chacun dans notre style nous avions un truc.