oh je vois ! et alors, c'est quoi ton histoire ?

J'ai une histoire sans importance. Une histoire qui ne vaut pas la peine d'être racontée selon moi. Mais je veux bien me débarrasser de tout ça, au moins pour cette fois. Je ne sais ni où je suis née, ni qui sont mes parents et ma vraie date de naissance est un mystère. On estime que je suis née au début du mois d'octobre, c'est pourquoi la directrice de l'orphelinat où j'étais a choisis le neuf octobre. Pourquoi le neuf et pas le huit ou le dix ? Je n'en sais rien.
Vous allez me dire que ça commence mal, que c'est triste un enfant sans parents, mais je ne suis pas d'accord. Cela aurait pus être pire. Et puis, qu'importe, n'est-ce pas ? Avec toute la misère du monde, le nombre d'orphelins est tellement grand que je ne peux qu'être heureuse d'être de ceux qui ont survécus bien plus longtemps que la plupart d'entre nous, les enfants perdus, sans nom et sans date de naissance.
Phylis. C'est moche, n'est-ce pas ? Je sais, je déteste mon prénom. Je préfère qu'on m'appelle Lis (prononcé "lisse"), mais je n'ai jamais rien choisi. Je suppose que c'est comme ça pour tout le monde. On ne choisit pas ses parents, sa famille, son nom, sa date de naissance ou son physique. J'n'ai pas choisis d'être abandonnée par mes parents dès ma naissance, j'n'ai pas choisis d'atterrir dans un orphelinat aussi strict et étrange que celui où j'ai vécus toute mon enfance, et bien plus important, je n'ai pas choisis toutes ces rumeurs me concernant.
Je ne saurais dire quand cela a commencé, mais depuis mon plus lointain souvenir, cela toujours été ainsi. Il y a toujours eu des rumeurs sur moi. J'étais la fille bizarre de l'orphelinat. Celle à éviter. Et plus les années passaient, plus je grandissais, plus j'arpentais les couloirs de cette grande maison froide, plus j'étais détestée. Je n'ai jamais compris pourquoi, mais les gens ne pouvaient s'empêcher de parler sur moi. Bien vite, j'étais devenus « La maudite ». Dès que je jouais avec un autre enfant, un surveillant de l'orphelinat l'éloignait de moi, le grondait, et quelques jours plus tard, il arrivait quelque chose à cet enfant. Aussi incroyable que cela puisse paraître, c'était toujours la même chose. Je touchais quelqu'un, un autre orphelin, un adulte, le chien de la directrice de l'orphelinat, il se passait quelque chose de malheureux les jours suivant. Les enfants tombaient malade, les adultes se retrouvaient sans emploi, et le chien s'est fait renversé plusieurs fois jusqu'à ce qu'il en meurt.
On appelle ça le hasard ou le destin, la fatalité ou le malheur, la dure réalité de la vie. Pour eux, c'était moi. Phylis. Maudite. Le mal en personne. Le diable m'habitait. J'étais bonne à exorciser ou je ne sais quoi.
Alors on me haïssait, on me crachait dessus, on me rejetait. Bien sur, aucune famille qui venait chercher un enfant ne voulait de moi. Bien sur, aucun orphelin n'osait m'approcher et sympathiser avec moi. Bien sur, plusieurs fois il a été question de me renvoyer de l'orphelinat. Mais la directrice, bien qu'elle se montrait dure et froide avec tout le monde et en particulier avec les enfants, elle n'a jamais osé me renvoyer de l'orphelinat. Alors j'ai finis par vivre dans une petite chambre à part. Je mangeais les restes, je ne voyais personne, j'étais prisonnière. Ce n'était pas plus mal au fond. J'étais tranquille. J'avais accès à des livres intéressants, alors je lisais.
Et puis un jour, la porte de ma chambre s'ouvrit. J'avais 11ans, j'étais frêle et maigre, pale et fatiguée, innocente et fragile. Un homme entra dans la chambre, accompagné de la directrice qui tentait de lui expliquer que c'était réellement une mauvaise idée. L'homme était grand et imposant, mais dès que je l'ai vus et pour la première fois de ma vie, je me suis sentie en sécurité. L'homme m'a demandé de me lever, il m'a regardé attentivement, puis il a hoché la tête d'un air satisfait. Quelques minutes plus tard j'étais dans sa voiture, mes quelques affaires avaient été rassemblés et fourrés dans une valise, et l'homme se présentait à moi. Il s'appelait Ian et il me souriait avec un tel aplomb que cela semblait sincère. Il m'a fait quitté l'orphelinat et il m'a tout appris. A commencer par les langues, anglais et français, puis par le sport, pour être en forme, il m'a apprit à me nourrir sereinement, et il m'a appris à fermer mon esprit aux autres. Il m'a inscrit dans un collège et j'ai pus suivre des cours comme toute jeune fille normale. Je pouvais le toucher sans problème. C'était un homme bien. Et c'est lui qui m'a fait découvrir le monde de la mode. Un monde incroyable qui me semblait féérique. J'ai fais mes premiers photoshoots à seulement 13ans grâce à lui, et j'ai très vite fait de plus en plus de défilés et de séances photos. Je me sentais enfin à ma place dans ce monde fait d'apparence et de faux semblants.
Ian était devenu comme un père pour moi. Mais je ne sais pourquoi, le jour où je l'ai appelé « papa », il s'est énervé et m'a violemment engueulé. Alors j'ai compris. J'ai compris que j'n'étais pas faite pour le monde normal, pour ces choses qu'on appelle amour ou famille ou amitié. J'ai compris que le seul endroit où était ma place, c'était le mannequinat. Avec Ian plus rien n'était pareil après cet incident, alors j'ai fuis. J'ai atterris dans une agence hongroise de mannequins, j'avais 15ans et j'étais à ma place. Enfin.. Jusqu'à ce que tout dérape lors d'une séance photo avec un photographe suédois qui voulait que je pose nue. Je n'avais que 15ans. J'étais une enfant. Innocente et pure. Il m'a obligé à poser à nue et puis il m'a forcé à faire ce que les gens appelle "l'amour". Cette chose si violente et si douloureuse qu'est celle d'avoir un homme nu au dessus de soi qui vous touche de partout et qui est brulant d'un désir qui n'était pas le mien. Dans mon cas, on appelle ça aussi un viol, mais pour moi, c'était un vol. Cet homme m'a volé mon innocence et mon enfance à jamais. Après ça, tout me semblait différent. J'appris par un autre mannequin que le photographe suédois s'était fait écrasé par un bus. Il était à l'hopital, dans un sale état. Cette nouvelle me fit terriblement peur. C'était comme si mon passé me rattrapait. Alors j'ai quitté l'agence et avec le peu d'argent que j'avais pus réunir, je suis partie. J'ai quitté la Hongrie et j'ai embarqué pour la France.
J'ai débarqué à Paris et j'ai présenté mon book à la grande agence qu'est Marilyn. Je n'y croyais pas trop, surtout que j'étais jeune, et que je suis considérée comme petite dans ce monde qu'est la mode. Mais j'ai été prise. Et depuis j'apprends à vivre à Paris comme mannequin d'une grande agence française. La Hongrie est loin derrière moi. J'évite tout contact physique avec qui que ce soit, mais quand il s'agit de mannequinat avec les coiffeurs, habilleurs, stylistes, photographes et autres mannequins, tout est différent. Je ne suis plus moi, je suis une autre. Je suis un corps de rêve. Je suis un regard de glace. Je suis un sourire. Une chevelure. Une posture. Des yeux bleus. Un visage. Une poupée. Un mannequin. J'aime ce métier plus que tout. J'ai bien conscience que c'est la chance de ma vie. Je n'ai que 17ans, mais je sais que j'ai un avenir prometteur. Ce monde d'apparence est fait pour moi, et c'est bien la seule chose qui me convienne réellement sur Terre je crois.