CHAPITRE 1 → Dieu dort dans le minéral,
rêve dans le végétal, s'éveille dans l'animal,
pense et aime dans l'homme.

La lumière tournait doucement. Tandis que des ombres se dessinaient sur les feuilles et les brins d'herbe qui se dressaient devant sa frimousse, Jack tentait avec méthode de cadrer cette photo qu'il voulait parfaite. Il y observait là le vert des nouveaux jours teintés de la rosée d'un matin qui se lève et d'un soir qui s'efface. Une certaine poésie y était là, cependant il répugnait à tomber dans le cliché du photographe qui croit vivre sa vie dans sa passion. Non, pour lui ce n'était pas cela. Il ne la vivait pas cette vie, il tentait de la vivre. Il essayait d'attraper au vol les seuls petits instants qui avaient pour promesse de le faire sourire, espérer, croire. Croire que sa vie est belle, que tout n'est pas tout noir ou tout blanc. Que les nuances existent dans le temps comme dans les angles d'un écran d'appareil photo. Son doigts qui exprimait une certaine négligence de lui même par la terre qui était venue se nicher sous ses ongles commençait avec précision, lenteur, patience, à presser le bouton qui prendrait la photo. Qui figerait ce qu'il voyait en cet instant en mouvement. La petite magie d'un clic.
Quand soudain, il entendit une voix dans son dos qui le fit sursauter. « Putain ! Je me fais pas chier à t'élever pour que tu deviennes une merde de tapette ! Je veux pas d'une petite pute comme fils moi, bordel ! Tu vas lâcher cet enculé d'appareil ou je te le fais bouffer ! » Le petit garçon releva la tête avec une lassitude qu'il tentait de cacher. L'habituelle finesse de son père qui avait déjà trop bu dans toute sa splendeur l'atteignait toujours autant même s'il voulait faire abstraction de ces conneries. La photo attendrait. Il éteignit son appareil et porta le cache à l'optique pour ensuite le ranger dans sa pochette. L'homme qu'il devrait appeler « papa » se tenait toujours dans l'ouverture de la porte, les yeux dans le vague. Oui, cet homme-là était complétement paumé, ravager par le vice mais tout d'abord par la tristesse. Il avait été aveugle. Il n'avait pas tenté de s'en sortir, il avait plongé d'un bond son cou dans la boisson sans essayer de se battre un minimum. Lâche, peureux, voilà comment Jack voyait son père. Mais, lorsqu'il voyait cet homme aussi désemparé devant lui, il n'arrivait pas à lui en vouloir. Après tout, il était toujours son père, même s'il n'en avait en aucun cas l'attitude. Le petit brun se leva, son pantalon était encore maculé de boue mais personne ne serait là pour le lui reprocher alors il n'y faisait pas attention. Lorsqu'il replanta son regard vers la porte, la silhouette de son père n'y était déjà plus. Il ne pleurait pas, non. Pleurer aurait été pour lui comme une façon de baisser les bras. Car oui, une voix au fond de lui crier encore d'y croire même si des milliers d'autres affirmaient que c'était foutu, qu'il serait lui aussi un raté puisqu'il n'avait aucun moyens de réussir. Pas même un parent pour le pousser par derrière dans les moments durs. Jack avait quatre ans quand sa putain de mère s'était tirée. Ce jour là, il en avait neuf.

CHAPITRE 2 → Pour croire il faut vouloir croire.

Il semblait qu'il avait seulement l'envie irréfrénable d'être différent. De ne pas se fondre dans cette putain de masse. De se démarquer. Et d'oublier toutes ressemblances qui pourraient le lier à son père. Il avait décidé d'être heureux, il ne voulait pas baisser les bras. Même s'il devait foncer dans un mur, il continuerait à courir et peut-être qu'avec un peu de chance lorsqu'il s'y trouverait à quelque mètre il arriverait à le contourner pour prendre un chemin plus serein. Cela, il ne pouvait pas le savoir, personne ne le pouvait, alors il avancerait et verrait bien quel sorte de mur se dresserait sur sa route. Jack tira une grande bouffée de tabac. Son vice à lui. Il ne s'en rendait alors pas compte mais par cela il se rapprochait d'une certaine manière de l'attitude lâche de son père. Même s'il n'y était pas encore plongé dedans. Il se leva d'un bond et contempla la ville qui s'étendait devant lui. Les lumières de couleur s'entrecroisaient avec charme. Le soir était tombé sur ce petit monde. Paris. C'était sa ville. Sa vie ? Il n'en avait pas la moindre idée. Encore était-il qu'il y avait ici tout ses souvenirs, qu'ils soient affreux ou joyeux. Et il se rendait compte avec le temps que même les tristes avaient une certaine importance dans ce qui construisait son chemin personnel. Des tournants tortueux dont il fallait apprendre l'itinéraire pour s'en sortir, avec des dommages certes, mais vivant. N'était-ce pas tout ce qui comptait ? Jack le savait à présent et il comptait bien échapper aux fosses aux serpents pendant un bon moment.


Allez booste toi un peu. Jack tentait de laisser ses yeux éveillés tandis qu'il essayait de capter un truc à ses cours qu'il jugeait inutile. Il aurait tant aimé pouvoir tout envoyer bouler en hurlant qu'il en avait rien à carrer de toutes ces molécules de merde. Mais, un problème persistait. En effet, il n'en avait pas rien à foutre. Loin de là. Il fallait dire que c'était aussi à un certain défi à lui même que de réussir cette école. La photographie. Il en avait rêvé, elle était bientôt à ses côtés jusqu'à la retraite. N'était-ce pas merveilleux ? Pas tant que ça quand il y réfléchissait à deux fois. Après tout, qu'allait-il faire ? Calquer une fausse image de la réalité et l'afficher dans des magazines ou dans des expos. « Oh et puis merde ! Arrête de penser, Jack » se sommait-il pour bientôt se refermer dans ses notes.