LEWIS&TIMON

Mes yeux s'écarquillèrent brusquement, adoptant soudainement la forme de deux steaks de tofus bien ronds face au château qui se dressait devant ma pauvre petite personne. Nous n'avions pas de château au Canada et encore moins dans le coin d'où je débarquais, tel un extra-terrestre venant d'une planète lointaine pour se retrouver au milieu des défilés mondains parisiens. Moi, jeune garçon n'ayant connu pendant un peu plus de deux décennies seulement le soja cultivé dans le milieu agro-alimentaire biologique, me retrouvais à faire le pingouin dans les soirées qui réunissaient les grandes figures de la mode à me comporter comme la toute dernière acquisition du directeur de mon agence, Roman Delacour, tout en reluquant les petits-fours 100% non végétarien. Au moins, ils pouvaient être sûres que je n'allais pas prendre un gramme d'ici le prochain shooting en sous-vêtements que j'aurais à exécuter. Et ce jour était officiellement arrivé. Je passai ma main dans mes cheveux, tant que j'avais le droit n'étant pas encore passé par la case coiffeur, alors que je sortais du bus qui transportait toute notre petite équipe de mannequins aux têtes multiethniques.
"Ne vous faites pas remarqué, surtout toi Karl-Holbrook ! Bon sang, où est-ce que tu as bien pu pêcher un nom pareil ?" était l'unique phrase censée me porter conseil que l'on m'avait accordé. J'avais tout d'abord était outragé par le commentaire émis sur mon patronyme familial. Etant dépourvu de père, le choix ne fut pas si évident que ça pour mes deux mamans, qui se battaient l'une comme l'autre pour que leur nom respectifs soit retenu. Il fallut trouver un terrain d'entente, et puis bon, Holbrook-Karl ça ne sonnait pas très bien, alors ... Je m'étais ensuite concentré sur la deuxième partie de sa toute première phrase. On faisait une fois un commentaire sur l'utilisation abusive d'arbres morts pour se moucher en temps hivernal auprès d'un célèbre créateur et ça y est, on était catalogué comme tête à claque de l'agence ... Foutaises.
Soupirant d'une manière assez équivoque, je fis glisser une petite boîte à l'extérieur de la poche de mon jean et me retournai pour m'adresser à la pauvre personne qui se trouvait alors derrière moi: « Tu peux me tenir ceci, s'il te plait ? Raah, je déteste faire ça ... » Une fois lui avoir tendu mes grosses lunettes de nerds, j'ouvris la petite boîte qui contenait mes lentilles de contacts et entrepris de les positionner avec maladresse sur mes globes oculaires surmenés ces derniers jours. Pour poser sur les photos, il était apparemment préférable de se débarasser des lunettes de vues, malheureusement pour moi. Histoire de ne pas gêner davantage le pauvre gars qui se trouvait à côté de moi -qui par ailleurs semblait déjà assez embarassé par la situation, j'essayai d'entamer un semblant de conversation. « Prêt pour le grand plongeon ? » dis-je avec un léger sourire, en prenant comme référence le lieu de notre futur shooting en vu d'une publicité pour des sous-vêtements, sous les jets d'eau de la fontaine d'Apolon, ou quelque chose dans le genre. En faite, c'était la toute première fois que mes pieds frôlaient les pavés du parking du château de Versailles, et j'ignorais d'à quoi je devais m'attendre derrière le grand édifice aux couleurs d'or.

Nouvelle journée, nouvelle aventure. Depuis mon entrée dans le monde du mannequinat, la banalité avait été chassée de mon quotidien. Chaque jour était différent, je rencontrais de nouvelles personnes, découvrais de nouveaux endroits, tout n'était que renouveau dans ce millieu sans cesse en mouvement.

Aujourd'hui, je me dirigeais vers le chateau de versaille... Je ne m'y étais jamais rendu que dans un cadre académique ou familiale et j'allais bientôt me ballader à moitié dans ses jardins, chose que j'avais assez de mal à visualiser. Dans le mini-bus qui nous conduisait au chateau, le silence reignait. Peut-être étais-ce à cause de l'heure matinale? Le photographe tenait en effet à nous shooter aux premières lueurs du soleil, il faisait donc maintenant encore nuit. Il fallait compter le maquillage, l'installation du set, etc, etc... Il devait être tout au plus 3 ou 4h du matin. Nous arrivions enfin et toute l'equipe s'affairait déjà à peine sortie du bus tandis qu'un garçon me demanda mon aide... Je n'eus même pas le temps de répondre que déjà il avait fourré ses gtrosses lunettes dans ma main. Un leger sourire s'esquissa sur mon visage en le voyant péniblement enfoncé les lentilles dans ses yeux.


-Prêt pour le grand plongeon ?
- Hum... Tu veux pas plutôt dire prêt à me choper la pneumonie du siècles ?


Je riais doucement mais déjà je frissonnais, nous imaginant à peine vêtu, aux lueurs du matin sous les jets de la fontaine dont l'eau devait être bien sur glacée.


- Moi c'est Lewis. Fis-je tout simplement avant de détourner mon regard mon malaise typique jaillissant chaque fois que j'avais à intéragir avec autruie.

Je clignai des yeux plusieurs fois à la suite, yeux tournés vers le sol, en essayant de m'accoutumer à la sensation que pouvait procurer les lentilles de contacts fixées sur mes yeux. Je n'étais pas un grand habitué, à vrai dire, j'avais fait mes premiers essais maladroits il y a peine quelques semaines chez un ophtalmo particulièrement étrange. Quand il s'était avéré, de nombreuses années auparavant, que j'étais aussi myope qu'une taupe en fin de vie, ça avait fait polémique dans ma famille, vis à vis du soit disant produit de consommation que pouvait être un tel accessoire que des lunettes. Réclamer de pouvoir porter des lentilles aurait été complètement irréaliste. « Hum... Tu veux pas plutôt dire prêt à me choper la pneumonie du siècles ? » Je m'esclaffai, tout en me risquant à lever mon regard vers le jeune homme. J'avais du mal à comprendre ce qu'on fabriquait ici, en plein hiver. L'eau ne gelait-elle donc pas en France ? Pour tout dire, j'étais déjà mort de froid. Il était extrêmement tôt, de manière à pouvoir prendre en photo les premiers rayons du soleil et, bien entendu, afin d'éviter les amas de touristes intrigués. Le photographe avait l'air un brin caractériel, personne n'avait apparemment osé contester sa décision. Je sautai d'un pied sur l'autre dans le faible espoir de pouvoir peut-être me réchauffer, tandis que je récupérais mes lunettes en le gratifiant d'un sourire reconnaissant. « Moi c'est Lewis. » Je lui adressai un nouveau sourire, tout en approuvant d'un signe de tête, alors que j'étais complètement regroupé sur moi-même, mains logées dans les poches de mon blouson. « Timon. Je t'aurais bien serré la main virilement, mais j'ai peur que des stalactites se forment au bout de mes doigts. » plaisantai-je. Les coiffeuses et maquilleuses commençaient déjà à s'agiter et je faisais timidement un pas en avant, espérant que ma nouvelle connaissance continuerait à me tenir compagnie. Je ne supportais pas le silence, fait paradoxal quand on savait que je n'étais pas particulièrement sociable comme garçon, mais comme on dit: je me soigne. Je faisais un nouveau pas en avant, toujours avec une assurance quasi-inexistante, pour me diriger vers le petit coin improvisé pour se faire tartiner de fond de teint et autres cosmétiques. Me sentant toujours obligé de faire la conversation.« Tu es déjà venu ici ? Ooh, et es-ce que tu es français d'ailleurs ? J'sais pas, apparemment Paris est le lieu de prédilections pour les mannequins d'à peu près tout les pays possibles et imaginables du monde, donc bon ... » demandai-je à Lewis en haussant les épaules.