oh je vois ! et alors, c'est quoi ton histoire ?

« T’es vraiment une loser, Sinéad ! » S’exclama Kevin à la petite blondinette dans la cour de récré. « Et toi t’es qu’un… » Les yeux brillants, les couettes défaites, la gamine n’avait aucune répartie, il faut dire que personne ne l’avait encore insulté de la sorte. Elle était issue d’un père pasteur et d’une mère absente qui avaient tout fait pour la garder dans leur nid un maximum de temps. Mais ce temps était révolu depuis que son grand frère avait quitté l’école élémentaire et la mignonnette s’attirait les foudres d’un peu tout le monde, devenant le bouc émissaire de sa classe sans qu’elle ne s’en rende compte. Serrant les poings, fronçant les sourcils, Sinéad se mit à chercher quelque chose à répondre à tous ses rires qui lui donnaient mal au crane. Malheureusement, la sonnerie l’empêcha de se défendre correctement et tout le monde regagna sa classe. Pendant le cours de mathématiques, Sinéad observait gentiment par la fenêtre les oiseaux qui se chamaillaient, mais cette fois-ci, elle n’était pas concentrée sur les oisillons mais sur ce qu’elle aurait du dire à Kevin. Dire qu’il était un idiot sans cervelle aurait été inutile puisque tout le monde le savait déjà, non, elle voulait lui dire autre chose, mais elle n’arrivait pas à le formuler, coincer dans sa gorge, aucun mot ne désignait cet abruti convenablement. « SINEAD ! » Sursautant à s’en faire mal au cœur, la petite blonde regarda la maitresse qui fronçait les sourcils. « Hein ? » S’entendit-elle dire sous les sourires moqueurs de ses camarades. « On ne dit pas hein, on dit comment ! » Etait-ce pour cela que la maitresse avait dérangé Sinéad ? Non, ça paraissait complètement illogique. « Ah… D’accord. » Répondit gentiment la blondinette dans un fin sourire avant de regarder de nouveau par la fenêtre. « Chez le directeur, TOUT DE SUITE ! » De grands yeux ronds prirent place sur le doux visage de Sinéad qui ne comprenait plus rien du tout. Il était maintenant évident pour la fillette que Kevin et la maitresse avaient comploté contre elle.

« Bonjour Jack. » Sinéad s’avança vers l’adolescent. Elle lui glissa un bout de papier dans la main et l’encouragea à le regarder. « J’ai changé d’avis… Ils ont dit que vous seriez surement ici… » Le garçon était hésitant, prenait-il Sinéad pour une folle ? C’était fort possible. « Chut… Donnez-moi votre main… Et fermez les yeux, ne regardez pas ! » Sinéad s’exécuta dans un sourire confiant. « Je ne regarde pas. » ; « Montez sur la balustrade. » Elle monta sur le trottoir. « Redressez-vous… Tenez bon… Gardez les yeux fermés. Vous avez confiance en moi ? » ; « J’ai confiance en vous. » ; « Très bien, ouvrez les yeux. » L’adolescente ouvrit alors les yeux, le garçon contre elle. « Oh… Je vole ! Jack ! » La demoiselle se mit à rire d’émerveillement. Le garçon se mit à chantonner doucement. « Viens Joséphine dans ma machine, qui vole, qui vole, s’envole comme une folle. » Sinéad pris alors la nuque du garçon afin de pouvoir l’embrasser. Et ils s’embrassèrent. Ce fut le premier baiser de Sinéad alors qu’elle avait quatorze ans. Ça sonnait comme un air de Titanic.

« Un moyen pop-corn s’il vous plait. » La blondinette gambada jusqu’au comptoir d’en face afin de servir sa cliente. Une fois la tache accomplie, la cliente lui donna la monnaie avant de partir en riant avec son groupe d’amies. Sinéad passa au client suivant. Un habitué. « Bonsoir Christian, comme d’habitude ? » Demanda-t-elle poliment de son plus beau sourire. « Exact ma mignonne. » Sinéad travaillait dans le cinéma de son quartier, après avoir obtenu son diplôme, la jeune femme voulait s’acheter une voiture et avait donc trouvé un job d’été. Et cela faisait maintenant un an qu’elle travaillait à temps plein dans le cinéma. C’était chouette mais la jeune femme rêvait d’autre chose. Comme par exemple, être projectionniste plutôt que serveuse. Où bien pouvoir passer dans la salle noire avec sa petite lampe afin de placer des gens, enfin, faire des trucs fun quoi ! « Tu es toujours aussi rêveuse, dis-moi ! » Souriant béatement, la jeune femme lâcha un petit « Hein ? » ; « Non je disais que… Tu pensais à quoi ? » ; « A changer de métier ! Mais j’ai pas de diplôme. » L’homme d’un certain âge se mit à sourire. « Quand j’avais ton âge, je ne savais pas non plus ce que je voulais faire, mais il n’y a vraiment rien qui t’intéresse ? » ; « Au contraire, il y a trop de choses. » ; « Oh, j'étais comme toi ma petite. Et finalement, je suis devenu journaliste, au début je m’occupais des faits divers et maintenant, je suis spécialisé dans les affaires non-élucidées... » Sinéad continuait de servir l’homme ridé tout en réfléchissant. « Comment vous avez réussit à choisir ? » ; « Je n’ai jamais réussi. Un jour j’ai rencontré une femme qui m’a dit que je ferais surement un bon enquêteur parce que je l’avais aidé à retrouver des trucs. Et finalement, un journaliste, c’est comme un enquêteur. » Répondit Christian en haussant les épaules. « Génial ! » Sinéad venait de trouver, non pas le métier de ses rêves, mais la voie à suivre. « Ça vous dirait d’être ma femme ? » Demanda-t-elle enjouée. « Pardon ? » ; « Oui, vous avez eu cette femme qui vous a dit de suivre cette voie, ça vous dirait d’être ma femme ? ». Christian se mit à rire avant de répondre à la demoiselle. « Bien sur, on se revoit après la séance, je te parlerais de tout ça. Je suis sure que ça pourrait te plaire. » Sinéad prit note du rendez-vous afin de ne pas l’oublier avant de penser à ce métier de journaliste. Ce pourrait être tellement bien. Voyager, rencontrer des gens intéressants, mettre un imper et des lunettes de soleil pour enquêter sur quelque chose de complètement loufoque, ça c’était du Sinéad tout craché et même plus encore.

« Tu vas être en retaaaaaard ! » S’époumona Rachel, la fille de Christian. Elle et Sinéad partageaient toutes deux un appartement depuis que cette dernière travaillait avec le père de sa colocataire. Il faut dire que Christian avait prit la douce Sinéad sous son aile, il lui avait proposé un travail en tant que journaliste, rien que ça. Cette dernière avait d’abord hésité puisqu’elle n’y connaissement fichtrement rien mais il avait su la convaincre et il lui avait surtout apprit à rédiger un article, à s’informer, à aller sur le terrain et en quelques mois, elle avait déjà à son actif quelques articles intéressants parus dans le quotidien pour lequel ils travaillaient. Seulement voilà, Christian partait à la retraite et Sinéad avait envie de changer de spécialisation après qu’elle eut rêvé d’une mannequin slave vue dans une publicité pour des vêtements de renoms. « Mais j’ai pas encore pris mon café ! » Râla la journaliste tout en enfilant son leggings fuchsia. « Je te le fais, mais par pitié bouge toi ! » Arrivée en retard à un entretien d’embauche, c’est sur que ce serait très mal vu, mais arrivée habillée n’importe comment à un entretien d’embauche pour un journal de mode, c’était sans doute pire. Accompagnant son leggings, elle enfila en vitesse une robe fleuris et se chaussa d’escarpins rétros. Dans la cuisine, Rachel s’activait à faire le café de la demoiselle qu’elle posa sur la table. Sinéad arriva en furie et après avoir avalé son café, elle prit un muffin qui se trouvait à côté, histoire d’avoir des forces pour l’entretien. Lorsque Rachel aperçut de l’erreur de sa colocataire, elle se mit à crier. « NON, ne mange pas le space ca… » Trop tard, la porte venait de se refermer violemment.
« Votre tenue est plutôt intéressante, mademoiselle Devlin. » Derrière ses lunettes rectangulaires, la rédactrice en chef passait en revue la tenue pour le moins originale de Sinéad. « Merci. » Répondit dans un chaleureux sourire la blondinette. « Ce n’était pas un compliment. Avez-vous emmenés des articles, des documents. » La journaliste sortit alors de son sac une pochette en carton qu’elle posa sur le bureau de sa future-croisons-les-doigts-chef. Cette dernière observa un instant les articles avec une moue plutôt déçue. « Un camion renversé sur l’autoroute, un meurtre élucidé, des chats qui disparaissent… Rien concernant la mode. Je crois que ça ne va pas être possible, mademoiselle Devlin. » ; « Mais il faut bien commencer quelque part ! Vous savez, on dit que la mode est un endroit fermé et tout mais je suis certaine du contraire, tout le monde pourrait créer la mode… » ; « Êtes-vous en train de dire que quiconque peut se prétendre styliste, même vous ? » La rédactrice du chef enleva docilement ses lunettes dans un sourire crispé. « Oui ! Non. Ce que je veux dire, c’est que moi, je pourrais être La Mode. Non, je suis La Mode. Je sais que je ne porte pas de la mode parce que je suis déjà à la mode prochaine que je créerais si j’avais voulut être styliste, donc quelque part, ceux qui ne sont pas à la mode, sont La Mode. Comme moi. Bon par contre, je ne veux pas être styliste mais journaliste de mode dans votre magazine et donc je suis sure que vous avez besoin de quelqu’un comme moi, vous avez besoin de La Mode dans vos rangs ! » Cette fois-ci, on entendit un rire sortir du bureau de la rédactrice en chef. « Je vais surement le regretter, mais vous êtes engagée. Rendez-vous à New-York lundi matin. » Dans un franc sourire, Sinéad venait par un miracle d’être engagée dans un journal de mode. Ça c’était incroyable. Alors qu’elle venait de signer les papiers dans la foulée, elle reçut un coup de fil de Rachel. « Me dit pas que t’as mangé le space cake. Je suis désolée, je voulais pas te faire gâcher ton entretien. Ça va ? T’es où ? Tu veux que je vienne te chercher ? » ; « Le quoi ? Ah non, je l’ai pas encore mangé, j’avais pas trop faim. Et j’ai été embauchée ! Par contre, je voulais te demander quelque chose. New-York c’est sur quelle ligne de métro ? »

« SIDNEY ! » ; « Oui ? » La rédactrice en chef n’avait jamais prit la peine de retenir complètement le prénom de Sinéad, tout comme ses collègues new-yorkais qui n’arrivaient de toutes manières pas à l’appeler par son vrai prénom. tout le monde prenait semblait-il, un malin plaisir à écorcher ce prénom français qui charmaient beaucoup trop de monde. Mais la française qui avait un père anglais ne se formalisait pas pour si peu, d’ailleurs, ils auraient pu l’appeler Britney ou Brenda qu’elle n’aurait rien dit non plus, après tout un prénom ce n’était pas grand-chose. D’ailleurs, la seule personne qui l’appelait par son prénom était l’un de ses amis qui travaillait également dans la mode. Ils avaient sympathisé et même si Sinéad était lamentablement tombée amoureuse de lui, jamais elle ne lui avait dit et ne comptait surtout pas le faire. Non pas par gêne, mais parce qu’elle appréciait ce sentiment qui ne semblait pas réciproque sans pour autant en être sure. Elle appréciait lorsqu’il la regardait et que ses regards pouvaient signifier tout et n’importe quoi, elle appréciait lorsqu’il la prenait dans ses bras et même lorsqu’il avait eu une petite-amie, elle avait apprécié le fait qu’il lui demande conseil, après tout, ça voulait bien dire des choses ! Ou peut-être pas, évidemment. Le seul inconvénient, majeur, était qu’il était le neveu de la rédactrice en chef, si bien que ses collègues pensaient qu’elle couchait avec lui pour être dans les petits papiers de leur boss. « Sidney, vous travaillez depuis longtemps pour nous maintenant… » La journaliste de mode décalée acquiesça d’un signe de tête. « Et vous aimez le changement… » Nouvel hochement de tête. « Et vous êtes française… » ; « Hein ? » Sinéad ne voyait plus du tout où sa rédactrice en chef voulait en venir. « Oui, bon, ce sont des faits. Tout ça pour dire, que je ne vous avais pas vu comme une potentielle journaliste de terrain. Vous savez, après New-York, Paris est l’une des capitales de la mode et je pense que pour le magazine, ce serait une bonne chose d’avoir un journaliste spécialisé dans la mode parisienne. Et puis, mon neveu m’a fait pensé à vous lorsqu’il m’a dit qu’il partait à Paris et que ce serait, je cite : « Une bouffée d’air frais d’avoir Sinéad avec moi. » Je pense que vous feriez une bonne journaliste, loin de vos collègues, qui plus est. C’est d’accord ? » ; « Il vous a vraiment parlé de moi ? » Dit-elle rêveuse, oubliant l’offre exceptionnelle qu’elle venait de recevoir mais qu’elle aurait sans doute décliné si elle avait su que le neveu en question partait pour Paris avec sa fiancée. La rédactrice en chef souffla de lassitude avant de conclure. « Parfait, vous partez pour Paris demain à la première heure. »