oh je vois ! et alors, c'est quoi ton histoire ?

« Qui es-tu ? » Elle était dans ma chambre, ses longs cheveux blonds sauvages lui arrivant au bas du dos, elle jouait avec mes voitures, un sourire aux lèvres. Ses yeux ont cherché mon regard, des yeux pétillants, ravissants. Et ses prunelles se sont ensuite ancrées dans les miennes. « Je suis Cloé, tu veux jouer avec moi ? » Elle devait avoir mon âge, c'est à dire sept ans. Je ne comprenais pas ce qu'elle faisait là, mais je me suis quand même assis à ses côtés pour jouer avec elle. « Que fais-tu dans ma chambre ? » Elle rougit, gênée. « Je me suis perdue dans les rues, ton papa m'a amené ici, il a dit de faire comme si j'étais chez moi et qu'il allait me reconduire à la maison bientôt. » Je ne me suis pas posé de questions, cela ne me semblait pas bizarre, j'étais encore bien trop jeune pour comprendre. Alors j'ai joué, envouté par ses yeux pétillants, ses cheveux blonds comme le blé et son sourire innocent. Je ne me doutais pas de ce qui allait arriver par la suite, de l'horreur qu'il allait lui faire subir. Il est entré, le sourire aux lèvres, il nous a observé jouer. Comme si ça lui plaisait. Je n'avais même pas remarqué qu'il était là, sa main s'est approchée lentement des cheveux de Cloé, pour les caresser. Elle n'a pas réagi, moi non plus, je devais croire que c'était normal. « Allons-y Cloé, tu vas rentrer à la maison. » Rentrer à la maison. Quand je revis cet instant dans ma tête, j'en ai la nausée, mes poings se serrent, ma gorge devient sèche et j'ai presque envie de le tuer pour tout ce qu'il a fait à ces filles qui devraient avoir mon âge aujourd'hui. Mais il reste mon père, mon géniteur, et mon sang est le sien. Aujourd'hui cette pourriture est en prison et ne peut plus faire de mal à personne, mais j'ai toujours eu l'impression que j'aurais pu tout changer, que j'aurais pu l'arrêter, l'empêcher de faire ces saloperies. Je ne savais pas. Je m'en veux. Il m'arrive encore de les voir quitter ma chambre main dans la main et d'entendre leur voix comme un échos dans ma tête. Son regard me hante parfois la nuit et j'ai l'impression que ses yeux me supplient de la sauver, elle pleure, elle crie, elle dit que j'aurais pu l'aider mais que je n'ai rien fait. Et moi je me réveille, en sueurs. C'était la première, mais loin d'être la dernière. Et j'allais toutes les rencontrer, les unes après les autres, sans jamais rien comprendre.

« Pourquoi papa est en prison ? » Elle m'a regardé de ses yeux brillants de larmes, je savais qu'elle allait bientôt tout lâcher, que tout allait couler, qu'elle allait abandonner et oublier la façade de femme forte qu'elle avait créée. Elle voulait se montrer courageuse, pour moi, et je savais qu'elle essayait également de se convaincre elle même. Mais je savais qui elle était, je savais qu'en réalité elle était brisée, fragile et au bord de gouffre. Elle était ma mère et je commençais à lire en elle comme dans un livre ouvert. « Il a fait des vilaines choses, très vilaines. Il a été puni. Tu es encore trop jeune pour entendre tout ça, plus tard tu comprendras. » Je commençais à comprendre tout doucement, cela s'éclairait lentement dans ma tête, mais je ne voulais pas y croire. Je pensais encore mon père innocent, je pensais qu'ils s'étaient trompés, jamais il n'aurait pu faire de si vilaines choses. Il était mon papa, et un papa était toujours aimable et bienveillant, un papa était un superhéros, un homme parfait. J'avais toujours été très fier de lui, il était mon idole, et je rêvais de devenir un grand homme, comme lui. Désillusion d'un pauvre petit garçon. « Moi aussi si je fais des bêtises j'irai en prison ? » C'est là qu'elle a commencé à pleurer, j'avais l'impression que jamais elle ne s'arrêterait, c'était comme si tout ce qu'elle n'avait encore jamais dit, tout ce qu'elle avait sur le cœur se mettait à sortir. J'ai d'ailleurs hérité de ce trait de caractère. Ma mère et moi sommes des bombes à retardement. « Ça dépend quelles bêtises mon ange. Mais jamais tu n'iras en prison, parce que tu n'es pas comme ton père, tu comprends ? » C'était elle qu'elle essayait de convaincre je crois, sûrement parce qu'elle craignait que je devienne comme lui. J'étais tout ce qui lui restait. Ce jour-là, je me suis promis de ne jamais faire de bêtises, pour ne pas la blesser. « Ce n'est pas ce que pensent les gens à l'école, personne ne veut plus jouer avec moi, tout le monde m'évite. Ils disent que je vais devenir comme mon papa, que je suis le fils d'un tueur. Ils sont méchants, ils me font peur. » Elle avait peur elle aussi, peur pour elle, peur pour moi. Peur de ce qui allait nous arriver, peur du regard des gens, des remarques, des méchancetés. « Tu ne seras jamais comme lui ! Ils ne savent rien, ils disent n'importe quoi. Je te défends de les écouter ! » Je me suis niché entre ses bras, fermant les yeux pour me laisser emporter par les bras de Morphée.

Nous avons déménagé, pour oublier, pour s'éloigner des mauvais souvenirs, pour ne plus avoir à subir ces regards insistants, ces murmures sur notre passage. Je me souviens avoir pleuré quand j'ai vu notre maison s'éloigner, comme une mauviette. Contrairement à moi, maman n'a pas regardé en arrière, parce que pour elle c'était déjà du passé et se retourner c'était regretter. C'est ainsi que nous sommes arrivés jusqu'à Paris où nous avons reconstruit notre vie sur de nouvelles bases. Nous avons effacé de notre histoire cette sombre période mais nous n'avons rien oublié. Mais ici la vie est devenue plus simple parce que personne ne savait rien.

Grosse réunion de famille à la maison, nous sommes en plein diner quand on frappe à la porte. Je vais ouvrir, après avoir vérifié que tout le monde était là : Mon voisin. Il me fait son regard sexy et j'ai bien envie de lui mettre un poing dans la gueule histoire qu'il comprenne une bonne fois pour toute. « Qu'est-ce que tu fais là ? C'est pas le moment ! » « Je suis venu te rapporter ton livre mon mignon, tu l'avais oublié l'autre nuit. » « Quand comprendras-tu que je ne suis pas gay bordel ?! » « Allons, nous savons tous les deux que c'est faux, entièrement faux, avoue le, tu as passé une merveilleuse nuit en ma compagnie. » « Va chier enfoiré ! » Et je lui balance mon poing, avec toute la force dont je suis capable avant de lui fermer la porte au nez. C'est un chieur, plus je le repousse et plus il insiste. Je sais que je devrais arrêter, mais c'est dans ma nature de réagir sans jamais réfléchir. Je me rappelle exactement de cette nuit, de chaque détail, même si je m'évertue à dire le contraire. Je préférerais oublier. J'étais venu pour passer une soirée entre hommes, parce qu'il avait insisté. Je n'en avais pas spécialement envie, mais j'avais fini par céder. Nous avions commencé à boire, j'ai jamais bien tenu l'alcool et je suis vite devenu complètement saoul, je ne savais plus du tout ce que je faisais. Le lendemain je m'étais réveillé dans son lit, nu, me rappelant de chaque détail qui me faisait honte. Je m'étais enfui aussitôt, et depuis je m'efforce d'oublier, parce que je ne suis pas gay. « C'était qui mon chéri ? » « Mon voisin maman. » Je dépose la livre sur la table, elle le prend et l'ouvre pour tomber sur des photos. Je vois son visage se décomposer pour ensuite se mettre à crier et tout laisser tomber par terre et moi je ne comprends pas. Je jette un oeil aux photos et je manque de m'évanouir. Je n'étais pas au courant que nous avions pris des photos. Je regarde au dos, des messages coquins avec l'heure d'un prochain rendez-vous éventuel. Depuis toute ma famille pense que je suis gay et ils tentent tous de me présenter de nombreux hommes que j'envoie immédiatement chez mon voisin qui s'en donne à cœur joie mais qui revient quand même toujours vers moi.

Mes yeux se sont ouverts, lentement, sur une chambre qui n'était pas mienne. Une chambre à l'allure excentrique, remplie de nombreuses photos et d'œuvres d'Andy Warhol. « C'est quoi ce bordel ? » Et puis je l'aperçois, nue sur une chaise, ses doigts dansant sur le piano. Ce sont ses cheveux roses qui me rafraichissent instantanément la mémoire. Je me souviens du bar, je me souviens qu'elle s'est assise à mes côtés pour se mettre à me parler, à me raconter sa vie, je me souviens avoir dansé alors que j'ai toujours détesté, je me souviens m'être amusé comme cela ne m'était plus arrivé depuis plusieurs années, je me souviens être retourné chez elle, je me souviens avoir chanté avec elle jusqu'au bout de la nuit, je me souviens de ses lèvres, je me souviens de sa peau. « Qu'est-ce que j'ai fait putain ?! » J'aurais sûrement rien dit si j'avais pas l'impression d'avoir fait quelque chose de mal. Je n'avais plus couché avec une fille depuis une éternité. L'acte sexuel me faisait honte depuis que j'étais enfant. J'avais l'impression d'avoir abusé d'elle, j'avais l'impression d'avoir couché avec une enfant, j'avais l'impression d'être mon père. Toujours lui ! Pourquoi s'amusait-il à détruire ma vie ? Mais ce n'était pas lui qui me détruisait, c'était moi, moi tout seul. Je me suis laissé emporté par le son divin du piano, elle était vraiment douée. Je me suis levé, pour m'habiller et me laisser tomber sur le lit, me délectant de cette étrange et merveilleuse atmosphère. Elle s'est arrêtée, laissant le silence planer dans la pièce, et elle s'est couchée à mes côtés pour ancrer ses prunelles dans les miennes. « Mon prénom ? » « Erin. » « Mon âge ? » « Tu auras vingt-quatre ans dans trois mois. » « Raté, vingt-trois ans dans trois mois. » « J'y étais presque. » « Presque ce n'est pas assez. La chanson qu'on a chanté en boucle pendant la nuit ? » « Smoke on the water de Deep Purple. » « Pas mal. Mes passions ? » « Colorer tes cheveux, Andy Warhol, la musique et le piano. » « Test réussi. » J'ai froncé les sourcils, me demandant de quel test elle parlait, mais elle répondit à ma question avant que je puisse la poser. « Au moins maintenant je sais que tu m'as écouté parler et que tu n'as pas fait semblant pour en profiter par la suite. » « C'est ainsi que tu vois les hommes ? » « Beaucoup, je me suis déjà fait avoir trop de fois. » Et elle semblait en rire, comme si la vie l'amusait, comme si la vie était un jeu. « C'était pas dans mes intentions de profiter de toi. » « Je sais... Au fait ... j'ai pris quelques photos de toi pendant ton sommeil, j'espère que cela ne te dérange pas. » Était-ce une manie de prendre des photos de moi nu ? Je n'ai pas répondu, me levant, il fallait que je parte. Elle a compris, n'a rien dit et m'a laissé partir. Ses yeux semblaient me dire : "De toute façon, on se reverra." Et je savais qu'elle avait raison, sans vraiment savoir pourquoi. Étrange situation dans laquelle j'étais tombé, simple mais étrange.

« C'est quoi cette lettre ? » Je n'avais même pas pris la peine de sonner, poussant la porte que je savais toujours ouverte. « De quoi tu parles ? » « Fais pas l'innocente ! De cette lettre qui dit que j'ai le profil idéal pour devenir mannequin et que mes photos sont très intéressantes... » « Mais c'est parfait, c'est merveilleux, tu te rends compte ? Tu pourrais être mannequin, faire la couverture de grands magazines, gagner un max de pognon, du fric comme t'en aurais encore jamais vu, tu pourrais avoir toutes les filles à tes pieds et choisir celle qui te plait, tu pourrais te payer une masseuse, baiser toutes les meufs qui vont te courir après, tu pourrais avoir le belle vie ! » « Tu sais pas être un peu sérieuse pour une fois ? C'est du baratin tout ça, je tiens pas à devenir un produit de consommation, une couverture de magazine que l'on regarde pour jeter par la suite. » « Donne moi une bonne raison qui t'empêcherait d'essayer, regarde toi Zadig, tu fous rien de ta vie, t'es un pourri, tu passes tes journées devant la tv en mangeant des chips, tu sens la transpiration, t'as même plus assez d'argent pour t'acheter de nouveaux vêtements, tu deviens un torchon ! » Elle avait raison, elle avait toujours raison. Elle le savait et elle savait que je savais. Mais elle riait de tout cela, de toute façon, elle savait très bien que j'allais accepter, je n'étais pas en position de refuser.